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Comment éviter le côté obscur de la force digitale en rééquilibrant les facteurs d’hygiène des collaborateurs ?
Comment la crise de la Covid a-t-elle pu déstabiliser de valeureux Jedis, pardon… des collaborateurs pourtant motivés ? En effet, la période actuelle pourrait offrir aux organisations une belle opportunité de se réinventer en fluidifiant leurs processus distanciels. Or, beaucoup d’outils digitaux ou de processus / rituels à distance – souvent imposés en mode « top down » – sont parfois pensés pour faciliter une partie du travail des managers ou d’autres fonctions transverses (souvent en charge de compiler de la data !) et s’avèrent parfois aussi nébuleux que l’Etoile Noire.
Gare aux effets collatéraux susceptibles d’impacter négativement l’engagement des équipes, qui sont les premières clientes internes. Dès lors, la RH se doit de cerner et d’anticiper les causes possibles de mécontentement en travaillant sur les facteurs d’hygiène chers à Frederick Herzberg.
Plus productifs à la maison ? Mais à quel prix !
L’imposition du télétravail aurait fait grimper la productivité des salariés de 22 %, si l’on en croit une étude de l’Institut Sapiens , un think tank libéral. La réduction du nombre de distractions et de perturbations (temps de trajet, transports en commun, pauses-café, long déjeuner, bruit de l’open space) aurait augmenté la motivation des collaborateurs en les responsabilisant.
Les auteurs de l’étude soulignent cependant qu’en l’absence de cadre et de suivi suffisants, le télétravail pourrait avoir l’effet inverse sur le long terme. Ce dernier peut provoquer jusqu’à 20 % de pertes de productivité. A titre d’exemple, un récent sondage Odoxa, indique que le télétravail est mal vécu par 60 % des 18-24 ans. Or, ce n’est pas parce que les salariés sont productifs que le chiffre d’affaires se porte mieux.
L’analyse des perturbations
Si l’immense majorité des collaborateurs reste impliquée – ne parlons pas de motivation, qui est personnelle et momentanée au même titre que la joie, le bonheur… – les causes d’insatisfaction ont énormément grimpé. Il est donc important de questionner :
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Les conditions de travail,
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La qualité de pilotage managérial,
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La sécurité,
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Les politiques d’administration,
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Les rapports interpersonnels…
Dans ce cadre-là, en quoi la digitalisation peut-elle être source de mieux-être ou d’angoisse ? La fluidification de l’information présente en effet un risque pour les managers en générant une « infobésité » inhérente aux outils digitalisés. Ceux-ci gomment les rapports interpersonnels. Et comme les supports sont désormais numériques – et donc accessibles à tout instant, y compris en dehors des horaires habituels – ils peuvent servir à couvrir un déficit d’actions managériales.
La digitalisation : Les outils digitaux peuvent soit nourrir de bonnes conditions d’hygiène
«On demande aux salariés d’être un athlète de haut niveau chaque jour» explique Marielle Dumortier, médecin du travail et spécialiste de la souffrance au travail à l’hôpital intercommunal de Créteil, qui vient de sortir le livre «Le monde du travail est devenu fou !» (Le Cherche-midi). En télétravail, le rapport au temps et à l’information n’est plus le même. L’individu peut facilement devenir « addict » à l’information. En quoi la digitalisation est-elle aidante si les collaborateurs doivent faire plus de reporting en télétravail ? Si le débit réseau « rame » ? Si l’ergonomie laisse à désirer ? Optimiser le digital sans se soucier de ce qui l’entoure est improductif.
Digitaliser sans surcharger
Beaucoup d’outils servent à réduire les tâches administratives chronophages des managers. Or, en créant des outils de communication plus fluides, c’est aux collaborateurs et à leurs activités quotidiennes qu’il faut s’adresser pour faciliter leur conduite de projets. Prenons l’exemple d’un CRM : cet outil indispensable au marketing nécessite l’adhésion du terrain pour être alimenté en data et pour maintenir une mémoire commerciale.
S’il n’est pas convivial, facilement accessible, s’il n’apporte rien de plus qu’un Excel ou un Outlook, l’adhésion sera problématique. « Incentiver » les collaborateurs à l’usage d’un tel outil –donc pratiquer une régulation externe – pour créer une « data culture » n’aura un impact qu’à court terme. Il en va de même pour un outil RH. Les leviers de prise en main seront d’autant plus forts qu’ils contribueront à lever des points de douleur. On peut alors démontrer les apports de tels processus par rapport à des actions non automatisées, chronophages et à faible valeur ajoutée.
Installer un outil digital, c’est poser la question de l’usage
Prendre en considération la « Voice Of Customer » – considérer le collaborateur comme un client interne et non comme un salarié exécutant – doit permettre de susciter l’adhésion en aidant à atteindre des buts. Si un service RH doit aider les managers de proximité à gérer leurs équipes à distance grâce à un outil digital, il devra impliquer les collaborateurs, la fonction support et les managers dans la conception.
Par ailleurs, la politique d’entreprise et d’administration doit être revue en conséquence. Et cela pour minimiser l’impact sur les relations interpersonnelles mises à mal à cause de la Covid. Dès lors, comment le digital permet de rééquilibrer des facteurs d’hygiène malmenés ?
La participation à une « data culture » pour responsabiliser (et rassurer) les collaborateurs
Rendre le bulletin de salaire compréhensible via le bilan social individualisé constitue un levier important d’acculturation à l’information. Plus le collaborateur disposera d’informations sur sa rentabilité, plus il se sentira responsabilisé et sensibilisé. Cependant, il faut surveiller la réaffectation du temps gagné par la digitalisation, s’engager sur des actions, prouver au collaborateur qu’il peut découvrir une valeur ajoutée au-delà de sa zone de confort. Par exemple on peut l’intégrer dans un cercle de réflexion d’amélioration continue, maintenir des formations malgré la crise etc.
Rassurer, responsabiliser, acculturer, c’est ce à quoi doivent servir les outils digitaux (teams, zoom, e-learning, chat, RSE…) auprès des collaborateurs. Mais aussi à communiquer de l’information positive via des indicateurs agrégés, présenter des process et des flux d’information clairs et cohérents (sur la pérennité de l’emploi, de son entreprise), qui ne changent pas au gré de la conjoncture.
Quelques leviers pour réduire l’impact sur les facteurs d’hygiène : déclencher automatiquement un entretien en fin d’année, proposer des solutions mixtes (présentielles et en ligne), prouver que des processus performants sont prévus. La digitalisation n’est pas une révolution en soi : elle s’inscrit simplement dans un fonctionnement au quotidien. Et cela pour aider à résoudre des besoins singuliers et individuels. Un outil transverse répondant à un besoin commun de tous les métiers sera un bon gage de succès. Et de s’éloigner de l’Etoile Noire et de Dark Vador en puissance.
Loïc CLAIRE
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Consultant RH depuis 1998.
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Psychologue spécialisé en ingénierie des organisations et de la formation.
Loïc bénéficie de plus de 20 ans d’expérience dans la mise en place et/ou l’optimisation des processus RH (recrutement, mobilité, gestion des talents, GEPP, …). Il accompagne les clients HRMAPS de l’audit des processus en vigueur dans l’entreprise à la mise en production de l’outil SIRH.